Chapitre 3

LA CYBERNÉTIQUE

 

C’est Norbert Wiener lui-même, mathématicien américain, théoricien et chercheur en mathématiques appliquées, qui crée le mot « Cybernétique ». Il exposa ses théories sur la cybernétique dans son livre « Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine (1948) ». (Il le publia, en anglais, par la Librairie Hermann & Cie (Paris), The MIT Press (Cambridge, Mass.) et Wiley (New York); en français: La cybernétique : Information et régulation dans le vivant et la machine, éd.: Seuil, 2014, ISBN 2-02-109420-0). La cybernétique, c’est donc pour lui la science du contrôle et de la communication chez les animaux et les machines.


On peut dire que c’est une sorte de pont que Wiener jette entre deux domaines qui jusqu’alors communiquaient très peu. C’est-à- dire, dans la science, tout le domaine de l’ingénierie ou la Science de la machine ainsi que tout le champ de la Biologie. La démarche de Wiener avec la cybernétique consiste à relier d’une part tout ce qui est réflexion et travail scientifique sur le génie mécanique, le génie physique ainsi que le génie atomique, englobant toutes les connaissances en rapport à l’univers vivant.

 

Il s’agit donc d’un pont. Un pont jeté par Wiener dans son interprétation du rôle, de l’impact de la cybernétique et en quoi la cybernétique est reliée à cette science qu’est la Communication. Car pour lui, en effet, la cybernétique est spécifiquement vouée à la recherche des lois générales de la Communication. Puisque cela concerne les phénomènes naturels ou artificiels, implique les machines, les animaux, l’homme ou la société, il ne s’agit plus tout simplement de la communication humaine, mais d’une nouvelle discipline qui, au vingtième siècle, s’impose comme la science des sciences qui engloberait et expliquerait toutes les autres.

 

D’où l’opération dite de FEED-BACK, c’est-à-dire recevoir l’information, la gérer et prendre une décision. En somme, en prenant cette décision on modifie notre propre action.

 

C’est que, l’acte posé par Wiener de jeter ce pont, somme toute, fait appel à l’état du savoir sur le plan social, économique, politique, culturel, dans l’espace comme dans le temps pendant et après la deuxième Guerre mondiale, au cours de laquelle paraît « Cybernetics », le livre de Norbert Wiener. Le contexte est aussi ce lieu commun américain d’alors, le complexe Militaro-scientifique qui regroupe à la fois l’Armée américaine de même que les plus grands scientifiques et chercheurs, tant américains qu’étrangers, joints aux plus grandes compagnies qui produisent de l’armement. D’où l’accord et l’amitié de Wiener et d’Einstein face au projet « Manhattan » ou de la Bombe atomique. Durant la Seconde Guerre mondiale en effet, il (Wiener) refusa de participer au Projet Manhattan, (projet de développement de la bombe nucléaire), tout en travaillant activement au programme de lutte antiaérienne (le radar SCR-584 et l'appareil de préparation de tir électronique M9).

 

C’est aussi l’époque de l’apparition de l’ordinateur, en 1944, avec l’ENIAC.

 

2.- Des liens (points communs ou différences) avec d’autres approches.

 

Faisons ici un bref appel à l’épistémologie ou fondements théoriques et historiques qui expliquent l’apparition, l’examen des conditions qui permettent au savoir d’exister – à un moment donné – par le contexte, l’histoire du chercheur.

 

Se rappeler l’action individuelle où les lunettes de Gallilée modifient la vision du monde statique où Dieu et la tradition régnaient en maîtres absolus avec les rois, jusqu’à la modernité avec le siècle des Lumières et des philosophes, le XVIIIe, où en rupture il est dit qu’ « Il faut que l’homme soit maître de sa propre destinée », parce que doué de raison. De même à l’occasion de l’apparition du Télégraphe.

 

Le télégraphe, comme on le sait : (du grec ancien τηλε têlé, loin et γραφειν graphein, écrire) est un système destiné à transmettre des messages, appelés télégrammes, d'un point à un autre sur de grandes distances, à l'aide de codes pour une transmission rapide et fiable. (https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A9graph).

 

Comment ne pas noter tout de même ici – avec le conditionnement ou le modèle S-R ainsi que les réactions diverses qu’il a provoquées – les origines dites « honteuses » de la Communication, de la part du même être qui s’estime doué de raison, notre espèce dite « « humaine? »

 

Dans le continuum des approches théoriques, il convient donc de considérer la Cybernétique face au Structuralisme de Foucault où il est dit que « Pouvoir et Savoir » c’est une structure de fond – inséparable – pour situer la différence de l’approche de Wiener qui s’inscrit avec Einstein contre ce point de vue en disant que la science ne doit pas servir à des fins destructives, entre les mains de ceux qui sont au pouvoir. (Paul-Michel Foucault est un philosophe français dont le travail porte sur les rapports entre pouvoir et savoir. En 2007, il est considéré par The Times Higher Education Guide comme l'auteur en sciences humaines le plus cité au monde). The Times Higher Education Guide,‎ 26 mars 2009. https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Foucault

 

Vers 1944, Wiener et Einstein quittent donc l’effort de Guerre.

 

Mais, si on prend la Cybernétique, on peut la faire remonter à Spencer à cause de l’Organicisme. (SOCIOL. Doctrine qui assimile la société à un organisme vivant. Dans ses Principes de sociologie 1879, il [Spencer] tente d'appliquer les thèmes généraux de son évolution à la vie sociale, sous la forme d'un organicisme intransigeant qui réduit la sociologie à la biologie (Hist. sc.,1957, p.1571).

 

Et si Shannon apporte à Wiener une définition mathématique de l’information, il s’en sépare ; parce que Shannon est relié par la logique causale à Laswell, logique unidirectionnelle et linéaire. (Harold Dwight Lasswell : un pionnier américain de la communication de masse et de la science politique. Il fut un précurseur, dans les années 50, du concept de policy sciences. Il est également connu pour sa définition de la communication selon son modèle des « 5 W » (paradigme fonctionnaliste lasswellien)1 : « Who says What to Whom in Which channel with What effect » soit : « Qui (dit) quoi (à) qui (par) quel moyen (avec) quel effet »). https://fr.wikipedia.org/wiki/Harold_Dwight_Lasswell

 

 

Wiener, quant à lui rejoint Paolo Alto, Bateson - (Gregory Bateson est un anthropologue, psychologue, épistémologue américain - il s'est beaucoup intéressé à la communication (humaine et animale), mais aussi… il est à l'origine de l'école de Paolo Alto) https://fr.wikipedia.org/wiki/Gregory_Bateson

 

Bateson, dis-je, se trouve influencé par la cybernétique, la théorie des groupes et celle des types logiques selon le modèle orchestral où s’inscrit la cybernétique de Wiener. (La cybernétique (en anglais cybernetics) est un terme, formé à partir du grec κῠβερνήτης (kubernêtês) « pilote, gouverneur », proposé en 1947 par le mathématicien américain Norbert Wiener pour promouvoir une vision unifiée des domaines naissants de l'automatique, de l'électronique et de la théorie mathématique de l'information, en tant que « théorie entière de la commande et de la communication, aussi bien chez l'animal que dans la machine»). https://fr.wikipedia.org/wiki/Cybern%C3%A9tique

 

(Rien à voir donc avec Yves Winking et le modèle télégraphique d’après Shannon, Laswell et Watson).

 

3. – Son importance en Communication.

 

Se rappeler ici que Norbert Wiener est un chercher autrichien, philosophe et surtout mathématicien.

 

Pour lui la cybernétique constitue un modèle de circulation de l’Information dans un système vivant ou technique destiné à résoudre les problèmes d’écart par rapport à une norme dans le cas d’un canon anti-avion qui cherche à pointer sa cible. Wiener découvre donc le principe de « FEED-BACK » qui est un processus de gestion de l’information. C’est là le premier signe qui démontre qu’une machine devienne intelligente, par « action et réaction ». On commence alors à associer à Communication des éléments comme la Biologie, le corps humain, le cerveau et ses neurones, l’ADN, l’univers, en passant par l’ordinateur. Voilà la nouveauté à partir de 1940.

 

4.- En somme, à partir de l’An 2000, quel est pour nous le véritable impact de la Cybernétique ?

 

Dans Québec Science – 1999 Volume 38, numéro 4, Décembre - Janvier 2000, page 47 l’une des questions posées à 30 personnalités marquantes, à l’aube du troisième millénaire, a été celle-ci :

« Quelle découverte souhaiteriez-vous voir se réaliser au cours du vingt et unième siècle ? »

– « La Cybernétique » m’a permis de retenir cette réponse de Monsieur Kimon Valaskakis, économiste et ancien Ambassadeur à l’organisation de coopération et de développement économiques (O C D E) :

Au nouveau siècle – le XXIe – affirme-t-il, certaines découvertes risquent d’être aussi significatives. Par exemple, la puce organique, jonction de la micro-informatique et des biotechnologies, fera en quelque sorte le pont entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. On créera littéralement le vivant ! Mais on pourra aussi créer des monstres… La distinction entre ce qui est humain et ce qui ne l’est pas pourrait devenir obscure. La seule chose qui manque, finalement, c’est l’innovation sociale qui pourrait faire contrepoids à cette innovation technologique. En d’autres termes, la technologie est de loin en avance sur notre capacité de l’absorber et de la gérer. Ça pourrait être désastreux. (M.P.E.)

 

On pourrait s’imaginer qu’alors Son Excellence Kimon Valaskakis, l’ambassadeur émérite du Canada à l’O C D E, a bel et bien lu le livre de Philippe Breton et Serge Proulx intitulé « L’explosion de la Communication, la naissance d’une nouvelle idéologie ». Le mot « cybernétique » est d’origine grecque et notre économiste ambassadeur aussi. Se souvenant sans doute de «kubernân, gouverner», peut-être aura-t-il lu Norbert Wiener lui-même dans «Cybernétique et société, L’usage humain des êtres humains, par Norbert Wiener, Éditions des Deux Rivers, 1971».

Sans quiproquo, enchainerait justement Philippe Breton et Serge Proulx :

 

« C’est par le biais d’une véritable mutation de ce qu’est l‘homme, que la cybernétique, cette toute nouvelle science de La Communication créée en1942 par Norbert Wiener, va mettre en avant, comme jamais cela n’avait été le cas jusque-là, le rôle de la communication». (Philippe Breton, Serge Proulx, l’explosion de la Communication, La naissance d’une nouvelle idéologie, Paris 1989, page 194).

 

À notre avis, il s’agit du bien-fondé du projet de Wiener, la perspective d’une société : «la société de communication», l’émergence d’une nouvelle «utopie sociale», la cybernétique.

Selon ces auteurs et bien d’autres, la cybernétique donnera lieu à une organisation sociale entièrement centrée autour de la circulation de l’information «où les machines à communiquer y joueront un rôle décisif». Au-delà cependant, c’est la perspective en devenir du danger représenté par les dérives éventuelles de la puissance destructive de l’intelligence artificielle contre lequel se liguent déjà des sommités telles le Professeur Stephen Hawking et ses adeptes alertés. Parce que, hélas!... il y l’envers de la médaille, c’est-à-dire la raison principale de cette nouvelle mise en garde. Car il y a «l’entropie !». Et le mot grec «Entropia» se prête volontiers à nous l’expliquer. C’est que si l’on n’y prend garde, ce «FEED-BACK», ce fatal «RETOUR EN ARRIÈRE» désorganisera les sociétés humaines et les conduira en quelque sorte naturellement à la destruction. Pour s’en convaincre il suffit de nos jours de lire et de relire, sur le Web, les multiples messages de mise en garde de la part d’auteurs et sommités les plus vigilants parce que les plus informés. Nous l’a déjà prévenu Wiener : « la société est menacée par l’entropie, force de désagrégation qui la mine de l’intérieur ».

Heureusement – et jusqu’à un certain point – existe un incontournable principe adaptatif, le processus qui consiste à recevoir et à utiliser l’information. Car vivre efficacement, toujours selon Wiener, c’est « vivre avec une information adéquate ». (Norbert Wiener, Cybernétique et société, l’usage humain des êtres humains, Éditions des Deux Rives, page 47).

 

Autrement dit, si la notion d’entropie est liée à celle de MODÈLE – ou la quantité de désordre dans une catégorie de MODÈLES – ou pire encore comme étant la mesure positive du désordre, où se trouve alors l’alternative ?

 

Ici nous éclairent E. R. Dickey et N. L. Senesieb : «Le fait d’exister comporte l’usage d’informations pertinentes, c’est-à-dire de données qui peuvent être utiles et utilitaires». (Gilles Vinet et al…, La Communication modélisée, une introduction aux concepts, aux modèles et aux théories, Éditions du Renouveau Pédagogiques Inc., page 169).

 

On apprend ainsi que la notion d’entropie se rattache directement à la notion d’information – dont elle dépend – et de sa mesure qui est une mesure de l’ordre.

 

Hommage donc à qui hommage est dû : à Norbert Wiener, pour ce «pari tenu, pari gagné». Car : «Aller de l’homme à l’homme et de la machine à l’homme en passant par l’entropie positive ou négative, sans être ennuyeux ou pédant, pouvait passer pour un pari insoutenable», d’après François Hardouin Duparc, dans (Norbert Wiener, Cybernétique et Société, 14 février 1971, page 9).

 

Somme toute, il appert que l’information, la communication et l’organisation sont des aspects intimement liés. Car « Il ne peut y avoir d’information sans processus de communication et, dans la mesure où l’information exprime le passage d’un état désordonné à un état ordonné, la où présence de données est indispensable, tout comme celle du processus organisationnel (Gilles Vinet et al…).

 

Dussé-je y perdre le souffle, je ne saurais résister à la tentative de répondre aux appréhensions ponctuées d’espoir, à l’aube du troisième millénaire, de l’ambassadeur émérite du Canada à l’O C D E, l’économiste bien connu Kimon Valaskakis en reprenant pour lui les propos d’Escarpit suivis de cette majestueuse tirade de Gilles Vinet et al…

 

« Dans l’étrange univers de la communication rien ne peut être collectif qui ne soit individuel, car, par sa production informationnelle, chaque individu y est au centre de tout ». (R.Escarpit, Théorie de l’information et pratique politique, Paris, Seuil, 1981, p.11-12).

 

« C’est d’ailleurs grâce à sa production informationnelle que l’être humain a inventé, par exemple le pouvoir, la religion, la démocratie, le gouvernement, l’État, la société, l’armée, la guerre, l’agriculture, l’écriture, la ville, la destruction et la reconstruction de l’environnement, l’exploration spatiale, la médecine qui lutte constamment contre l’entropie organique, tous les produits et les objets de consommation de même que tous les systèmes et les réseaux de télécommunication et, enfin, le système d’éducation qui, tout en servant à fabriquer des ressources humaines qui seront au service des systèmes industriels, commerciaux et financiers, réussit à réduire les limites et les effets de l’ignorance ». (Gilles Willet et al., La Communication modélisée, Une introduction aux concepts, aux modèles et aux théories, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc., 1992, page 177).

 

Un hommage des plus à Norbert Wiener et mes remerciements à Gilles Willet et al… pour les bonnes leçons sur le « Feed-back »… et la « Rétro-information » !

 

On le voit, on en est arrivé à l’extension de la notion d’entropie – à l’informatique – où l’information – sans bruit – est de la bonne information. Ce qui m’amène à réfléchir à la faculté adaptative de l’être humain à apprendre et à savoir contourner certains obstacles. Il en est ainsi depuis les sociétés traditionnelles jusqu’à la société moderne que l’on dit déjà post moderne. Le processus consistant à recevoir et à utiliser l’information constitue donc le processus que nous suivons pour nous adapter aux contingences du milieu ambiant et vivre efficacement dans ce milieu. Tout être peut donc se définir par la nature de ces échanges qu’il entretient avec l’environnement. Les paradigmes naissent et se transforment au rythme, parfois aberrant, de cette adaptation. Mais demeure un fil conducteur qui, à chaque étape du cheminement de la société humaine, par son influx, remet la pendule à l‘heure… Ainsi en sera-t-il de la Cybernétique de Norbert Wiener.

Lucien Bonnet

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